- RETOUR -

 

Martinet & Texereau

Dessinatrices

Prix Charles Oulmont 2015, dans la catégorie “Arts plastiques”

 
 

Pauline Martinet et Zoé Texereau, formées à l'Ensad, travaillent ensemble depuis 2008 : elles dessinent. Elles dessinent ensemble. Elles dessinent ensemble des objets, des fragments et des lieux du quotidien, des choses simples de la vie. Elles confondent leur individualité dans le collectif Martinet & Texereau, et  du coup, semble-t-il,  leur dessin donne vie et individualité  à ces objets  insignifiants sous nos regards distraits. Travaillant sur la série et la répétition, elles les organisent en un répertoire ouvert de nos images mentales. Quand elles exposent et publient (en province et à Paris, en Norvège, suite à leur résidence au centre d'art LKV de Trondheim en 2014), ça s'appelle Lieux communs, Dimanches, Piscines d'hôtels, Le fond des choses, L'éloge de l'ordinaire… et on pense alors à Perec, avec Tentative d'épuisement d'un lieu parisien, ou tout simplement Les choses.

Il paraît que cultiver la paresse est chose intelligente. L’œuvre de Martinet & Texereau apparaît comme la preuve de la justesse de cette théorie… Depuis 2007 les deux jeunes femmes, Pauline Martinet et Zoé Texereau, qui se cachent derrière ce nom sonnant comme un binôme de profession libérale, développent une œuvre à deux. Chose peu commune dans le monde de l’art où nous voudrons encore avec un certain romantisme imaginer l’art comme l’expression d’une personnalité. Dans le cas de Martinet & Texereau la personnalité est plutôt équivalente à celle d’une personnalité juridique – une fiction ! Il ne s’agit pas de faire une rencontre entre deux expressions ou de juxtaposer deux écritures. L’enjeu de Martinet & Texereau est de faire exister un univers qui n’est ni celui de l’une ni de l’autre – mais carrément quelque chose de nouveau. Il va sans dire que cette autre n’est pas totalement étrangère ou extérieure à l’une et à l’autre, mais elle ne se résume pas à une simple addition des deux individualités. Ici 1 + 1 égale 3. L’exercice a débuté alors qu’elles étaient étudiantes à l’ENSAD (L’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs) en réponse à un devoir qui leur déplaisait – ou plus exactement qu’elles trouvaient ennuyeux. Face à l’ennui elles ont eu l’idée de répondre à deux. D’une pierre deux coups.

Le professeur a accepté. Depuis elles n’ont jamais cessé de travailler à quatre mains et une œuvre de cette tierce unité s’est développée pour exister aujourd’hui sous forme d’un très grand nombre de dessins au crayon et un plus petit nombre de peintures à la gouache. Et qu’est-ce qu’elles dessinent, dans leur paresse élevée désormais en principe ? Eh bien, l’ordinaire… Un inventaire de l’ordinaire quotidien si ce n’est ces idylles de vacances du bonheur formalisé ; ces cartes postales créées de toute pièce au point d’être tout aussi banales que le quotidien ordinaire dont elles prétendent constituer une échappatoire par l’extraordinaire… Héliotropiques est le titre d’un grand nombre de dessins ou défilent palmiers, piscines et perroquets, hôtels et héraldiques. L’inventaire d’un rêve en substance. Le dessin est réaliste, parfois à la limite d’un hyper-réalisme. Par moment, l’insistance sur les volumes donne une grande puissance à l’illusion d’une troisième dimension ; parfois, l’ordinaire s’exprime dans une forme où tout semble se juxtaposer sur un même plan. Avec l’exactitude d’un anatomiste du cadre contemporain Martinet & Texereau dissèque notre environnement, visitant les halls anonymes des immeubles, le dallage de leurs sols, les veines de ces mêmes dalles, les plinthes qui les longent, les portes qui s’y dressent et les plantes qui y évoluent pour apporter leur touche de vie. Bienvenue chez nous. Voici ce qui vous voyez tous les jours sans le regarder. La sensualité de la pierre, la personnalité de la plante ou le petit jardin baroque qui mène sa vie tranquille à l’extérieur, voir le jeu d’ombres délicat du treillis strict et rigide.
Cet autre qui se nomme Martinet & Texereau s’est lancé dans une entreprise sans fin qui consiste à rendre visible, à nous réveiller, à titiller nos sentiments devant cet anodin finalement pas si banal, ou bien oui -  banal affirmatif, mais aussi précieux car le nôtre. C’est en reconnaissance de cette entreprise gigantesque et avec l’envie de la voir se développer, que la commission des arts est heureuse d’attribuer le prix aux deux paresseuses exemplaires.

Maria Lund